MÉMOIRE DE L’INSTITUT PROFESSIONNEL
DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA
Résumé
Pour que l’économie canadienne puisse se remettre
rapidement et durablement de la récente crise financière mondiale, il est
essentiel de préserver le corps professionnel d’administration publique qui
fournit les services gouvernementaux névralgiques et l’expertise scientifique
nécessaires. À la lumière du récent examen stratégique et fonctionnel, les
réductions de personnel dans la fonction publique ne sont pas la bonne façon
d’augmenter les revenus de l’État; il faudrait plutôt s’attaquer à la fonction
publique fantôme en plein essor que constituent les postes en sous-traitance
externe et rejeter les nouvelles réductions de l’impôt des entreprises qui sont
projetées. Pour assurer une croissance durable de l’économie et éviter une
éventuelle récession à double creux, le gouvernement fédéral doit demeurer
conscient de la nécessité d’offrir un ensemble de rémunération compétitif dans
la fonction publique, et des avantages d’investir dans les activités R-D et
d’innovation gouvernementales.
L’examen stratégique et fonctionnel et l’impartition des services
Le budget fédéral de 2012 devra prendre en compte
le fait que l’économie mondiale se débat encore avec les séquelles de la crise
financière de 2007-2008. Bien que le Canada s’en soit tiré relativement bien,
la reprise chez notre principal partenaire commercial est fragile et en dents
de scie. Le marché de l’emploi aux États-Unis a reculé à nouveau au dernier
trimestre, ce qui accroît les risques d’une récession à double creux dans ce
pays. Cela aurait de graves conséquences pour le développement économique au
Canada, puisque nos exportateurs ont déjà à subir les effets d’un dollar
canadien rendu à un taux de change supérieur à celui du dollar américain. Les
institutions financières canadiennes étant réglementées de manière stricte par
le BSIF, nos banques n’avaient pas l’autonomie requise pour commettre les mêmes
erreurs que leurs homologues américaines. Néanmoins, la hausse de l’endettement
des ménages canadiens et les signes de plus en plus évidents d’une bulle
immobilière dans les principales villes du pays nous obligent à redoubler de
vigilance. Ces facteurs combinés exigent que le gouvernement fasse preuve d’une
prudence extrême en planifiant la réduction des dépenses dans le budget de
2012. Le gouvernement ne doit pas risquer de nuire à la relance déjà fragile
en sabrant dans les dépenses et les investissements publics. Il faut plutôt
annuler les baisses prévues d’impôt pour les entreprises et annuler celles
consenties les années précédentes.
L’analyse démontre que les baisses d’impôt pour
les entreprises n’ont pas stimulé l’activité économique ni entraîné une
augmentation de leurs investissements. D’après le directeur parlementaire du
budget, la réduction du taux d’imposition des entreprises de 18 p. 100
en 2010 à 15 p. 100 en 2012 se traduira par une perte de
11,5 milliards de dollars entre 2011-2012 et 2013-2014[i]. Au
contraire, si on rétablissait le taux d’imposition de 22 p. 100
appliqué en 2007, cela permettrait à l’État d’engranger des revenus additionnels
de 13,8 milliards de dollars[ii]. C’est beaucoup plus que le montant de 2,8 milliards de
dollars par année que le gouvernement espère économiser grâce aux compressions
envisagées dans le cadre de l’Examen stratégique et fonctionnel (ESF)[iii].
Au lieu de procéder à un nouvel ESF, qui amènerait sûrement un recul net par
rapport au niveau et à la qualité des services à la population, il faudrait
annuler les baisses d’impôt consenties aux entreprises afin d’utiliser l’argent
ainsi épargné pour jeter les bases de la compétitivité future du Canada, soit
une fonction publique moderne et compétente. Le gouvernement fédéral devrait
suivre l’exemple de la Colombie-Britannique où on prévoit ramener le taux
d’imposition pour les entreprises à 12 p. 100 en 2012 comparativement
à 10 p. 100 l’année précédente.
Il serait possible d’économiser davantage en
plafonnant et diminuant le nombre de contrats fédéraux confiés à des
entreprises externes. En 2009-2010, la valeur des contrats de sous-traitance a
dépassé 1,2 milliard de dollars. À part les problèmes éthiques que pose
l’existence d’une « fonction publique fantôme » échappant aux règles
légales en vigueur, la prolifération des possibilités d’impartition
irresponsables constitue un usage abusif des fonds publics.
Le but de la Loi sur l’emploi dans la fonction
publique (LEFP) est de veiller à ce que le personnel des organismes
gouvernementaux soit guidé par les principes de mérite, d’intégrité, de
transparence, de diversité régionale et ethnique et de bilinguisme. Dans une
étude datant de 2010, la Commission de la fonction publique a prouvé
abondamment que les gestionnaires gouvernementaux utilisent à mauvais escient
les dispositions relatives à la sous-traitance et contournent les règles
d’embauche dictées dans la LEFP. Résultat, une main-d’œuvre distincte a fait
son apparition au sein de la fonction publique, à savoir des milliers de
personnes engagées à contrat pendant des périodes prolongées et continues, mais
qui ne sont pas assujetties ou protégées par la LEFP.
Beaucoup de gens croient à tort que le recours à
la sous-traitance est une méthode de gestion concurrentielle et efficace
permettant de diminuer les coûts. En fait, les soumissions initiales sont plus
avantageuses, mais les contrats ainsi gagnés donnent généralement aux
intéressés l’occasion de « mettre le pied dans la porte », si bien
que les coûts et la durée des contrats augmentent à répétition. Un rapport du
Centre canadien de politiques alternatives paru en 2011 démontre comment on a
abusé des possibilités de sous-traitance et à quel point ces pratiques sont
devenues coûteuses. D’après ce rapport, il y a en moyenne un écart de
350 p. 100 entre la proposition initiale de l’entreprise
soumissionnaire et le montant final payé par le gouvernement. Et à mesure que
le temps passe, les organismes de l’État sont de moins en moins capables de
fournir certains services à l’interne, ce qui les rend dépendants des
entrepreneurs privés. Au bout du compte, les coûts de l’impartition sont
devenus excessifs. Au cours des récentes années, le montant global de l’ardoise
a grimpé de 660 millions de dollars en 2005-2006 à plus de
1,2 milliard de dollars durant l’année financière 2009-2010[iv].
Le gouvernement devrait tendre à réduire la valeur
de ces contrats en sous-traitance au niveau de 2005-2006 et ramener le taux
d’imposition pour les entreprises au niveau de 2007, soit 22 p. 100.
En outre, ces deux mesures lui feraient récolter 13,8 milliards de dollars
additionnels en revenus, plus du double du montant espéré via les propositions
inscrites dans l’ESF actuel.
Minimiser les dégâts pour la fonction publique en protégeant les emplois et en maintenant une rémunération concurrentielle
L’Examen stratégique et fonctionnel recommande de
soumettre la fonction publique fédérale à des compressions budgétaires
substantielles afin d’épargner 4 milliards de dollars en 2014-2015. Ces
coupures pourront effectivement amener une réduction appréciable des coûts
administratifs durant les trois prochaines années, mais leurs conséquences à
moyen et à long terme sur la fonction publique fédérale et sur la reprise
économique fragile ont de quoi préoccuper grandement les Canadiens.
Actuellement, vu le lancement de cette initiative
pangouvernementale de réduction des coûts, nous tenons à rappeler l’expérience
douloureuse de compressions dans la fonction publique au milieu des
années 1990, expérience qu’il faut analyser de manière critique, en tirant
les leçons de ses principaux échecs. Les compressions budgétaires annoncées
récemment doivent être appliquées intelligemment, afin qu’elles entraînent un
minimum de dommages pour le précieux capital humain que représente la fonction
publique fédérale.
Nous conseillons fortement au gouvernement
d’opérer ces coupures budgétaires sans réduire de façon substantielle la
main-d’œuvre. Au cours des deux dernières décennies, la fonction publique
fédérale a suivi une cure de minceur et est devenue plus efficace que jamais
auparavant. Entre 1990 et 2010, le nombre de fonctionnaires n’a augmenté que de
16,7 p. 100, alors que la population canadienne dans son ensemble a
crû de 23,1 p. 100[v]. La main-d’œuvre a déjà maigri au point que toute nouvelle
réduction du nombre d’emplois entraînerait une dégradation sérieuse des
services offerts à la population. Une récente étude a fait ressortir un taux de
croissance énorme de 24 p. 100 à l’échelon des postes de direction
entre 2005 et 2009[vi]. La fonction publique canadienne peut-elle se permettre d’ajouter
encore des postes de direction au détriment des simples fonctionnaires?
Croissance annuelle des cadres dirigeants dans la fonction publique fédérale, 2005-2009
Executive Population : Cadres dirigeants
Core Public Administration Population :Simples
fonctionnaires
Dans l’économie contemporaine basée sur les
connaissances, on considère que les postes professionnels et scientifiques sont
le principal facteur d’augmentation de l’efficacité et de la productivité au
travail. Notre institut prie le gouvernement fédéral de prendre toutes les
mesures nécessaires pour éviter des mises à pied parmi les travailleurs clés
possédant le savoir requis, et dont l’apport est indispensable à la fois pour
poursuivre la relance économique et pour assurer une croissance durable après
la récession. Les mises à pied annoncées récemment, qui visent en particulier
des vérificateurs de TPSGC ainsi que des scientifiques au ministère fédéral de
l’Environnement, représentent un changement risqué dans la mauvaise direction.
De plus, pour protéger la fonction publique
fédérale en cette période de contraintes financières, il faut prendre en compte
sa capacité future d’attirer et de conserver les meilleurs talents une fois
surmontée la mauvaise passe économique actuelle. Les principales difficultés
qu’a connu la fonction publique fédérale pour combler les postes professionnels
et scientifiques après la vague de réductions de personnel au milieu des
années 1990 étaient attribuables surtout au gel de salaires qu’on a imposé
pendant quatre ans imposé sans discrimination à l’ensemble des fonctionnaires
entre 1993 et 1997. Ce gel des salaires s’est traduit par un écart négatif
considérable avec le secteur privé, qui a par conséquent empêché la fonction
publique fédérale de rivaliser efficacement pour l’obtention d’une main-d’œuvre
très compétente[vii].
Nous conseillons au Secrétariat du Conseil du
Trésor et à tous les organismes fédéraux d’apprendre des échecs antérieurs en
veillant à ce que leurs employés soient rémunérés de façon juste et
concurrentielle. Les pressions en vue d’une réduction des coûts de
fonctionnement ne doivent pas empêcher l’ensemble des ministères et organismes
fédéraux d’offrir des hausses de salaire décentes indexées à l’inflation et
ajustées en fonction des normes sur le marché. Malheureusement, là encore, le
gouvernement fédéral s’apprête à commettre les mêmes vieilles erreurs. En 2008,
on a plafonné par voie de législation les hausses de salaire
(2,5 p. 100, 2,3 p. 100, 1,5 p. 100,
1,5 p. 100 et 1,5 p. 100), plafond qui a été imposé sans
discrimination à l’ensemble des fonctionnaires entre 2006 et 2011. À présent,
le gouvernement fédéral exerce encore plus de pressions pour limiter les coûts
de rémunération et pour obliger les syndicats de fonctionnaires à faire des
concessions relativement aux primes et indemnités de départ. Ces interventions
gouvernementales violent de toute évidence le droit des travailleurs à des
négociations collectives justes. Les mesures récemment adoptées pour
restreindre la rémunération ont encore une fois creusé un écart salarial
négatif avec le secteur privé, surtout pour de nombreux postes dans les
professions libérales et scientifiques[viii].
Les activités scientifiques de l’État : Investir dans l’économie du savoir
Le 4 novembre 2010, l’IPFPC,
conjointement avec l’Association canadienne des employés professionnels et
l’Association canadienne des agents financiers, a organisé une table ronde sur
le thème « Preuve c. idéologie dans la politique canadienne ». Ce
débat a fait ressortir un changement inquiétant chez les décideurs
gouvernementaux qui tendent à ne plus se baser sur les connaissances, malgré
les progrès constants du Canada dans le sens d’une économie du savoir. Or, une
telle économie exige que les décisions soient prises en fonction des faits, et
nécessite une grande capacité d’innovation, de recherche et de développement
dans tous les secteurs.
La recherche scientifique joue un rôle particulier
au sein du gouvernement fédéral, et elle produit des effets considérables sur
la prise des décisions gouvernementales et les programmes de développement
socioéconomique. Les travaux de recherche scientifique gouvernementaux
sous-tendent de nombreux domaines importants comme l’élaboration des politiques
et la réglementation ainsi que les programmes essentiels en santé et en sécurité
publiques. Toutefois, les nouvelles compressions budgétaires envisagées dans le
cadre de la deuxième ronde d’examen stratégique risquent d’affaiblir encore
plus la qualité, l’intégrité et les capacités de recherche scientifique
indispensables pour que l’État puisse prendre ses décisions éclairées à la
lumière des faits. En outre, les compressions à court terme dans les programmes
scientifiques et les programmes de R-D diminueront à long terme la capacité du
Canada de rivaliser sur la scène internationale dans des secteurs de haute
technologie, et de surveiller adéquatement les problèmes en rapport avec la
santé et la sécurité publiques en vue d’y remédier.
Le Canada consacre une part infime de son PIB
annuel aux activités gouvernementales de R-D, soit environ 0,2 p. 100
en 2009. Ce taux est très inférieur à la moyenne des pays du G7, qui allouent
en général environ 0,26 p. 100 de leur PIB aux activités de recherche
interne[ix]. Le gouvernement canadien néglige les travaux internes de recherche
scientifique et de R-D pourtant indispensables, et canalise à la place les
fonds des subventions vers les institutions d’enseignement supérieur et les
entreprises privées. Il en résulte une dépendance malsaine envers les
recherches scientifiques externes, ce qui est nuisible à l’intérêt public.
Il est essentiel de disposer de moyens poussés de
recherche scientifique à même le gouvernement, afin d’obtenir des informations
scientifiques indépendantes et objectives et de favoriser l’innovation au
profit des Canadiens. De nouvelles réductions dans les programmes scientifiques
gouvernementaux auraient aussi pour effet de miner la capacité de l’État
d’assumer des fonctions essentielles de réglementation, en ce qui concerne
notamment la santé publique ainsi que la salubrité alimentaire et la sécurité
de l’eau. Le bien-être de l’ensemble de la population exige un financement
adéquat et constant des laboratoires de recherche fédéraux, qui jouent un rôle
important en matière de réglementation et permettent de conseiller les décideurs,
capacités qui seraient perdues si le gouvernement devait confier le travail aux
établissements d’enseignement ou aux entreprises privées.
Voici nos recommandations
1. Tout plan fédéral de contrôle des dépenses
doit d’abord d’attaquer au gaspillage d’argent qu’implique l’impartition.
2. Nous prions le gouvernement fédéral de
maintenir une rémunération globale suffisamment compétitive en allouant des
crédits suffisants pour offrir des hausses salariales décentes à ses
fonctionnaires. Il devrait entre autres protéger leurs régimes et prestations
de retraite et leur accorder des conditions de négociation collective
équitables, sans recourir arbitrairement à ses pouvoirs législatifs.
3. Nous recommandons au gouvernement de
prioriser et de privilégier les recherches scientifiques publiques, en
consacrant plus d’argent et d’efforts en faveur des travaux internes de
recherche et de développement. Ces travaux s’avèrent indispensables pour que
gouvernement puisse prendre ses décisions à la lumière des faits, de manière à
favoriser des innovations cruciales et l’adoption de règles adéquates qui
aideront à poursuivre le développement social et économique du Canada.